Pornographie : comprendre, évaluer et intervenir lorsque l’usage devient un problème

Par Dre Marie-Anne Sergerie, Ph.D., psychologue spécialisée en cyberdépendance

Internet est omniprésent et la pornographie est désormais extrêmement facile d’accès. Certaines personnes éprouvent toutefois des difficultés à gérer leur usage, ce qui amène plusieurs conséquences dans leur fonctionnement au quotidien. L’usage problématique de la pornographie étant un phénomène récent, les psychologues, les sexologues et les différents intervenants en santé mentale ne sont pas toujours outillés pour intervenir efficacement sur cette problématique. Comment comprendre, évaluer et traiter cette problématique? Un article scientifique rédigé par Dre Marie-Anne Sergerie, Ph. D. et Simon Corneau, professeur au département de sexologie de l’Université du Québec à Montréal vient d’être publié. L’article a pour objectif de dresser l’état des connaissances actuelles sur l’usage problématique de la pornographie, sur les méthodes d’évaluation documentées et les traitements et approches cliniques d’intervention possibles afin de guider les professionnels à mieux intervenir auprès d’une clientèle aux prises avec cette problématique.

Pour lire l’article : Sergerie, M.-A. et Corneau, S. (2017). Usage problématique de la pornographie : conceptualisation, évaluation et traitement. Revue Québécoise de Psychologie, 38(1), 259-282.

Sextage : Avez-vous donné votre consentement ?

Par Dre Marie-Anne Sergerie, Ph.D., psychologue spécialisée en cyberdépendance et nouvelles technologies

Dans sa chronique intitulée Bonjour, voici mon pénis de l’édition du 29 janvier 2017 de la Presse+, Patrick Lagacé s’est intéressé au phénomène des « phallophotos » (ou « dick pics« ) qui consiste à envoyer des photos de ses organes génitaux à une autre personne via les nouvelles technologies. J’ai eu l’occasion de m’entretenir avec lui sur le sujet.

Comment comprendre ce phénomène ?

Le premier élément à considérer est la notion de consentement sexuel. Le consentement sexuel, c’est l’accord volontaire donné par une personne à son ou sa partenaire au moment de participer à une activité sexuelle. Pour avoir une explication concrète et simple de la notion de consentement sexuel, prenez quelques instants pour visionner la vidéo Le consentement, pas si compliqué finalement, la version française de la vidéo « Consent  It’s simple as tea » narrée par Bernard Derome.

Si les deux personnes sont consentantes, il s’agit plutôt de « cybersexe » ou de « sextage » (en anglais, « sexting« ). Le cybersexe réfère à avoir des activités sexuelles en ligne, souvent accompagnées de comportements masturbatoires. Le sextage consiste à échanger du matériel sexuellement explicite (photo, vidéo, texto, courriel, etc.) par l’entremise des nouvelles technologies (cellulaire, texto, courriel, réseaux sociaux, etc.) avec une autre personne. La pratique est de plus en plus répandue, notamment chez les adolescents et les jeunes adultes. Le contenu des sextos peut varier, allant de messages écrits pour signifier son attirance envers une autre personne à du matériel sexuellement explicite (photos ou vidéos avec nudité partielle ou complète).

Plusieurs facteurs peuvent motiver un individu à échanger des sextos. Pour certains, il s’agit d’une façon de maintenir et de conserver une relation excitante ou d’initier une relation sexuelle, tandis que pour d’autres, il s’agit plutôt d’une façon d’attirer un(e) partenaire sexuel.

Le sextage serait aussi une pratique courante auprès des partenaires sexuels non engagés dans une relation amoureuse. Dans ces situations, certains traits de personnalité, comme la recherche constante de nouvelles sensations et d’expériences excitantes ainsi que l’impulsivité, favoriseraient la pratique du sextage.

Les motivations de l’individu à envoyer une photo de ses organes génitaux et la notion de consentement sexuel permettent d’avoir des indices pour mieux comprendre le comportement. Dans certains cas, si la personne qui reçoit le message n’a pas consenti au préalable, il pourrait s’agir de stratégies de séduction inadéquates (par exemple, si une photo explicite est envoyée dans l’intention de manifester son attirance à l’autre sans avoir validé l’attirance et l’intérêt de l’autre au préalable).

Dans le cas où le consentement n’est pas obtenu au préalable et que la personne qui reçoit le message le perçoit comme étant inadéquat, il pourrait plutôt s’agir d’exhibitionnisme, un trouble répertorié sous les paraphilies. L’exhibitionnisme se définit par « une excitation sexuelle intense et récurrente provoquée par le fait d’exhiber ses organes génitaux devant une personne prise au dépourvu, se manifestant sous la forme de fantasmes, de pulsions ou de comportements. L’individu a mis en actes ses pulsions sexuelles avec une personne non-consentante » (DSM-5).

La personne présentant un trouble exhibitionnisme ressent donc une envie irrésistible et incontrôlable d’exhiber ses organes génitaux. Ces impulsions sont souvent déclenchées par différents facteurs comme l’ennui, le stress, la tristesse, la déprime, les conflits interpersonnels ou encore la vue d’une personne perçue comme étant attirante. Par conditionnement, l’exhibitionniste tend plutôt à reproduire un comportement où il a déjà éprouvé du plaisir et ressenti de l’excitation sexuelle en exposant ses organes génitaux.

En somme, avant d’envoyer une photo ou une vidéo de soi à caractère sexuel à une autre personne, il est impératif de s’assurer, de façon claire, que cette dernière est bel et bien consentante. Il est également important de réfléchir aux conséquences du dévoilement de soi en ligne, à la fois pour les autres et pour soi. Comment la personne qui reçoit ce message risque-t-elle de se sentir réellement ? Quels seront les impacts sur cette relation ? Est-ce que le contenu pourrait être diffusé à d’autres personnes sans mon consentement ? Les personnes d’âge mineur sont particulièrement vulnérables à ces situations. Lorsque le contenu est partagé, il n’est plus possible de revenir en arrière. D’où l’importance de réfléchir avant d’agir!


Sources.

American Psychiatric Association [APA]. (2013) Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, 5è éd (DSM-5). Paris : Masson.

Champion, A. R. & Pedersen, C. L. (2015). Investigating differences between sexters and non-sexters on attitudes, subjectives norms, and risky sexual behaviours. The Canadian Journal of Human Sexuality, 24(3), 205-214.

Dir, A. L. & Cyder, M. A. (2015). Risks, risk factors, and outcomes associated with phone and Internet sexting among university students in the United States. Archives of Sexual Behavior, 44, 1675-1684.

Swindell, S., Stroebel, O’Keefe, S., et al., (2011). Correlates of exhibitions-like experiences in childhook and adolescence : A model for development of exhibitionism in heterosexual males. Sexual Addiction & Compulsivity, 18, 135-156.

Le consentement sexuel. Éducaloi.

Comment mesurer la dépendance à la pornographie en ligne ?

Par Dre Marie-Anne Sergerie, Ph.D., psychologue spécialisée en cyberdépendance et nouvelles technologies

Une étude publiée en février 2015 présente une nouvelle version du Cyber Pornography Use Inventory (CPUI), inventaire composé au départ de 32 items. Les chercheurs ont procédé à la validation d’une version de 9 items (CPUI-9) regroupés sous trois facteurs : la perception de la compulsion (items 1 à 3), les efforts reliés à l’accès (items 4 à 6) et la détresse émotionnelle (items 7 à 9). L’inventaire permet de mesurer rapidement la dépendance à la pornographie en ligne perçue par le consommateur. L’inventaire peut se répondre sur une échelle de 1 à 7 (Pas du tout à Extrêmement) ou par Vrai ou Faux.


Inventaire de l’utilisation de cyberpornographie (Traduction libre)
(The Cyber Pornography Use Inventory-9; Grubbs et al., 2015)

1. Je crois que je suis accro à la pornographie sur Internet.
2. Même si je ne veux pas visionner de la pornographie en ligne, je me sens attiré(e) par elle.
3. Je suis incapable de cesser mon utilisation de pornographie en ligne.
4. Il m’arrive de planifier mon horaire afin d’être en mesure de me retrouver seul pour visionner de la pornographie en ligne.
5. J’ai refusé de sortir avec des amis ou d’assister à des activités sociales pour avoir l’occasion de visionner de la pornographie en ligne.
6. J’ai laissé de côté des priorités pour visionner de la pornographie en ligne.
7. Je me sens honteux(se) après avoir visionné de la pornographie en ligne.
8. Je me sens déprimé(e) après avoir visionné de la pornographie en ligne.
9. Je me sens mal après avoir visionné de la pornographie en ligne.

 


Sources. 

Grubbs, J. B., Sessoms, J., Wheeler, D. M., & Volk, F. (2010). The Cyber-Pornography Use Inventory: The development of a new assessment instrument. Sexual Addiction & Compulsivity, 17, 106-126.

Grubbs, J. B., Volk, F., Exline, J. J., & Pargament, K. I. (2015). Internet Pornography Use: Perceived Addiction, Psychological Distress, and the Validation of a Brief Measure. Journal of Sex & Marital Therapy, 41(1), 83-106.